jeudi 14 mars 2013

Ensemble mégalitique au sud d'Addis Abeba

Le mégalithisme du sud La nation éthiopienne s'est constituée sur un double héritage. L'un est représenté par un ensemble mégalithique qui s'étend dans le sud de l'Éthiopie ; l'autre, d'où le mégalithisme n'est pas absent, s'est formé dans le nord avec la culture d'Axoum au premier millénaire de notre ère. II possède une grande ancienneté puisque des cistes dolméniques – ou sépultures mégalithiques – appartiennent au dixième millénaire avant notre ère. Près d'une centaine ont été répertoriés par Roger Joussaume qui a étudié certaines d'entre elles, dans le Harar. Des stèles de dates plus récentes, datant du premier millénaire de notre ère, dans le Shoa et le Sidamo, autres régions du sud, se comptent par milliers. Un explorateur des années vingt avançait le chiffre de dix mille. Encore convient-il de préciser qu'à cette époque une quantité importante de ces monuments avaient disparu, souvent utilisés comme matériau de construction par la population locale. C'est dans ces contrées que se trouve encore la plus grande concentration de mégalithes de tout le continent africain. Ces monuments mégalithiques sont connus depuis la fin du XIXe siècle par le récit de voyageurs étrangers. En 1878, Antonio Cecchi remarque des « pierres de Gragne » – du nom d'un conquérant musulman du XVIe siècle – aux environs de Debra-Berhan, une bourgade à 135 kilomètres au nord-est d'Addis-Abeba. Dans un canton limitrophe, Paul Soleillet en 1882 voit des « pierres levées » au milieu des champs. Elles lui rappellent les menhirs de Bretagne. V. Barbini, peu après, au pays de Tiya dans le Soddo, observe des « pierres sépulcrales ». Il en fait des croquis, les premiers jamais réalisés de ces stèles. Mais c'est surtout à François Azais, dans les années 1920, qu'on doit les découvertes les plus importantes, publiées en 1931 sous le titre « Cinq années de recherches archéologiques en Éthiopie ». Aujourd'hui, Roger Joussaume poursuit méthodiquement ces recherches sur les hautes terres d'Éthiopie du Sud. Une grande variété de formes et de figurations caractérise ce phénomène mégalithique. Plusieurs stèles sont marquées de signes gravés ou champlevés dont la signification échappe. Des personnages apparaissent au milieu de dessins géométriques et d'objets divers. L'homme tient en effet une place primordiale dans les représentations, et il advient que le monument lui-même revête forme humaine. Un classement rapide distingue des stèles anthropomorphes, des stèles à épées, des stèles à figuration composite, des stèles au masque, des monolithes phalloïdes, des pierres hémisphériques ou coniques, des stèles simples sans nulle figuration. D'à peu près tous, il est possible d'affirmer que ce sont des monuments funéraires, car le plus grand nombre sont érigés sur des sépultures groupées quelquefois en véritables cimetières. La hauteur de ces pierres varie de moins d'un mètre à huit mètres – mais on est tenté de dire la longueur parce qu'aujourd'hui beaucoup sont couchées au sol. De nombreux traits, communs aux unes et aux autres, les font assigner au même ensemble culturel dont la datation est problématique. Les populations locales, chrétiennes ou musulmanes de tradition, sont dans l'ignorance complète de leur origine. Nul signe de l'une ou l'autre religion n'est identifiable entre tous les symboles figurés. Quel peuple ancien a dressé ces stèles ? Les recherches conduisent à penser que ce furent des agriculteurs ; elles fournissent peu d'éléments d'identification : qui sait s'ils ne furent pas, ces agriculteurs, ceux qui domestiquèrent le caféier – car si l'on sait que le café est originaire d'Éthiopie, des incertitudes demeurent quant à la date de sa domestication ? Il est tentant de l'imaginer. Des vestiges de leur habitat ont été mis au jour qui ne les font pas pour autant émerger de l'obscurité protohistorique. Quant aux mythogrammes et autres symboles, ils demeurent à ce jour lettres mortes. Tiya Un site, par le nombre des stèles, leurs caractéristiques et leurs figurations, est particulièrement représentatif de cette culture protohistorique. Situé à quatre-vingt-sept kilomètres au sud d'Addis-Abeba. par la route, il est constitué d'une quarantaine de monuments, tous de tailles différentes : le plus grand, aujourd'hui brisé en morceaux, mesurait cinq mètres de hauteur. Cette stèle est remarquable par la nature et la disposition des signes qui composent la figuration sculptée. La partie supérieure compte treize épées superposées sur deux rangées. La rangée supérieure de six épées est disposée obliquement ; les épées ont leur pointe en bas. La rangée inférieure présente aussi une légère obliquité, en sens inverse ; sept épées jointes par la garde ont leur pointe en haut. En dessous sont figurés des symboles énigmatiques : deux disques encadrent un signe ramifié. Un motif en forme d'X couché – en fait, un double chevron jointé – est placé sous le disque de gauche, à côté du signe ramifié. La partie inférieure de la stèle reproduit les mêmes emblèmes : six épées, pointe en haut, dessinées verticalement et, comme dans la partie supérieure, attachées par la garde. En dessous, deux disques encadrent le signe ramifié ; le double chevron apparaît sur la droite. Au pied, deux perforations. Le motif ramifié – que l'on peut aussi nommer « bifurqué » – est le symbole le plus communément reproduit. On le rencontre sur la plupart des stèles du Soddo, mais il est, pareillement ou avec quelque différence, représenté sur les monolithes phalloïdes du Sidamo, plus au sud. Il est dessiné seul sur certains monuments, mais on le voit, notamment sur les stèles de Tiya et aux alentours, associé aux autres symboles que sont les disques et les chevrons pour composer un trigramme dont le sens est perdu. Épées et trigrammes, d'une stèle à l'autre – elles sont une centaine dans le Soddo – les arrangements varient ; ils ne sont jamais identiquement figurés. Ces signes témoignent d'un symbolisme élaboré qui n'a pu être expliqué, bien que les hypothèses se soient multipliées au gré des imaginations. Il n'en est aucune à présenter suffisamment de vraisemblance pour l'emporter sur les autres. Que ces stèles aient été façonnées et dressées comme un défi à l'éphémère, c'est sans doute ce que sur un plan général il est possible d'énoncer. Élevées sur des tombes, on sait que ce sont des monuments funéraires. À Tiya, quarante-quatre de ces sépultures ont été étudiées qui ont permis nombre d'observations archéologiques et anthropologiques. Dans la région de Butagira, vers le sud, des stèles historiées offrent une figuration très variée, en creux et en relief. Les hommes sont représentés avec des outils, des arcs et des flèches. Ces stèles de Tiya et d'ailleurs sont d'un âge malaisé à déterminer avec précision. Des recoupements d'ordre archéologique auxquels des analyses de laboratoire ont apporté un début de confirmation suggèrent une datation entre le neuvième et le quatorzième siècle. L'origine de ces monuments est encore enveloppée d'incertitudes mais l'étude de ce mégalithisme qui fut l'œuvre de sociétés agricoles inconnues n'est encore que dans sa phase initiale.

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